Yvette Dhaneus, l’une des premières « déplacées climatiques » des Hauts-De-France

À Blendecques, dans le Pas-de-Calais, l’impasse Roger-Salengro va être rasée pour lutter contre les inondations. Rencontre avec une habitante contrainte de quitter sa maison.

Le pavillon d’Yvette Dhaneus a longtemps été un havre de paix. D’apparence, la maison est des plus classiques, perdue au milieu d’un lotissement. « Tout se passe derrière », indique l’ancienne coiffeuse d’un mouvement de tête, comme une invitation à pénétrer dans son jardin.

Au fond, on distingue un cours d’eau : l’Aa, qui traverse Blendecques, petite ville située à quelques kilomètres de Saint-Omer. Ce fleuve donne à la maison d’Yvette un air charmant, presque idyllique. « Mon mari était un grand fan de pêche. Il s’installait souvent avec mon fils au fond du jardin pour lui apprendre à attraper des poissons », se souvient la retraitée de 82 ans. Elle se plaît aussi à raconter les nombreux déjeuners entre voisins et voisines que son jardin a accueillis, dès que la température estivale le permettait. Des souvenirs douloureux depuis qu’Yvette a appris que sa maison allait être rasée.

Un an après les inondations qui ont touché près de la moitié des habitations blendecquoises, la Capso (communauté d’agglomération du pays de Saint-Omer) a pris la décision de démolir tous les logements de l’impasse Roger-Salengro. Avec la disparition de ce quartier, c’est une partie de la vie d’Yvette qui s’effondre. Son mari, aujourd’hui décédé, avait construit la plupart des maisons de la rue dans les années 1980. « Il a acheté les terrains pour construire des maisons dessus, avant de les revendre. Je suis dépitée à l’idée de voir tout ce travail détruit », explique-t-elle.

Mme Dhaneus était la seule à ne pas vouloir vendre.
Guirec Henry, DGS de la mairie de Blendecques

« C’est terrible, j’ai l’impression de vivre avec des murs », se désole Yvette en pointant les maisons abandonnées et vidées par leurs ex-propriétaires. De nature sociable, la retraitée accueille volontiers son cercle amical pour des parties de belote endiablées. Quand tout le monde est parti, elle se rabat sur la version numérique et joue en ligne sur sa tablette tactile. L’octogénaire rassure : « Heureusement que mon fils est à côté, ça me fait un peu de compagnie. » Dans un rire, elle admet avoir du mal à couper le cordon. Guillaume habite juste en face de chez elle. 

Leurs deux jardins sont reliés par une passerelle qui surplombe l’Aa. Un fleuve devenu le cauchemar de la population de Blendecques. En 2002, il submerge une partie de la ville : une crue centennale. Mais en novembre 2023 puis en janvier 2024, deux nouvelles montées des eaux ravagent Blendecques et d’autres communes du Pas-de-Calais. Le salon d’Yvette est envahi par 50 centimètres d’eau. En témoignent les traces sur les murs et les meubles, encore visibles un an après. Pourtant, elle s’estime chanceuse : « J’ai été la moins impactée de tous mes voisins. Chez eux, l’eau est montée à plus d’un mètre, voire jusqu’à 1,50 mètre par endroits ! »

L’inévitable démolition

Si Blendecques est située presque intégralement en zone inondable, l’impasse Roger-Salengro présente une particularité : elle a été bâtie sur un terrain bordé de part et d’autre par l’Aa. Une zone devenue trop dangereuse, commente Guirec Henry, directeur général des services (DGS) à la mairie de Blendecques : « Dans cette rue, les maisons ont été construites bien trop proches du fleuve et obstruent son écoulement naturel. S’il y a d’autres inondations, ce seront les premières de la ville à être touchées. » 

Une situation que veut éviter la Capso. L’été dernier, l’intercommunalité sollicite un bureau d’études en ingénierie afin d’évaluer les effets de la démolition de l’îlot. Le cabinet recommande de renaturer – retrouver un état naturel initial avant sa modification par l’humain – et d’élargir le lit de l’Aa. « On compte sur cet ouvrage hydraulique pour limiter la montée des eaux, et éviter à l’avenir des inondations aussi importantes que celles de l’année dernière », indique Samuel Mieze, directeur général des services de la Capso.

Lucie Deroux, étudiante en architecture, connaît bien le projet. Avec ses camarades, elle a pensé le Blendecques de demain, qui doit apprendre à vivre avec les inondations. Pendant le semestre, elle s’est rendue à Blendecques à plusieurs reprises, et a entendu parler d’Yvette : « On l’appelait la résistante », dit-elle en souriant.

S’il assure « ne pas faire ça par gaieté de cœur », Guirec Henry justifie le choix de la collectivité : « Sur une dizaine de personnes, Mme Dhaneus était la seule à ne pas vouloir vendre. On a écouté la majorité. » La destruction d’une autre impasse blendecquoise, celle de l’Hermitage, a aussi été envisagée. Mais, sur sept ménages concernés, seul un a accepté de vendre. « Là aussi on les a écoutés, on n’allait pas se battre avec eux pour les convaincre. On veut agir avec les habitants, pas contre eux », affirme le DGS de la mairie.

Dans la cuisine d’Yvette Dhaneus, les dégâts causés par les inondations. ©Lucas Roué

Selon la Capso, les travaux de démolition devraient commencer dans quelques mois, le temps de finaliser la vente de toutes les maisons concernées. Yvette Dhaneus n’y assistera pas, sur les conseils de son médecin : « Il m’a dit de ne surtout pas y aller, il sait que ça me stresse. » En attendant, elle a déjà repéré une nouvelle maison prête à l’accueillir quelques rues plus loin. De sa fenêtre, la retraitée verra encore le fleuve ruisseler.

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