« On était à 250 mètres de la mer, on n’est plus qu’à 30 mètres » : à Wissant, le combat de Brigitte

À 75 ans, la Wissantaise Brigitte Couhé incarne la lutte contre l’érosion sur la Côte d’Opale et ne se résigne pas à voir l’eau gagner du terrain. 

En franchissant son portail, on sent encore le sable sous nos pieds. La « villa » de Brigitte Couhé, qu’elle a fait construire dans les années 1990 à Wissant, est perchée à six mètres au-dessus du niveau de la mer. Située au bout d’une allée qui mène directement à la Manche, la bâtisse est idyllique pour celle qui ne rêvait que d’une retraite paisible. Seule ombre au tableau : l’érosion. Avec le temps, la montée des eaux a fait reculer les dunes. Résultat : la distance entre la mer et sa maison diminue.

« Vous vous rendez compte ? On était à 250 mètres de la mer, et maintenant, on n’est plus qu’à 30 mètres », déplore Brigitte. Malgré cela, la vice-présidente de l’association des Amis de la baie de Wissant n’est pas défaitiste. Sa voix ne tremble pas. Elle dit avoir pris du recul par rapport à ce constat, qui l’avait « bouleversée ».  

Pour elle, « la catastrophe » a commencé avec une vente de sable, dans les années 1980. « À l’époque, il y avait une dune appelée la dune Blanche un peu plus loin, vers Terdeghem. Elle n’était pas fixée, il n’y avait ni oyat – une plante utilisée pour fixer le sable des dunes – ni rien pour la stabiliser. Une nuit, une violente tempête l’a déplacée, ensevelissant les maisons situées de l’autre côté de la rue. Par la suite, le sable a été vendu. Aujourd’hui, on en manque, mais à l’époque, il y en avait trop. » 

À cela s’est ajoutée la disparition des blockhaus. En 2007, après un décès accidentel impliquant un jeune homme, la commune a décidé de les démolir. « Le jour où ils ont retiré les blockhaus, on a perdu 30 mètres de dunes. » Une situation qui a poussé Brigitte à réagir pour préserver son coin de paradis.

La vice-présidente des Amis de la baie de Wissant s'est engagée pour que des pieux soient érigés pour protéger la côte. ©Lucas Roué.

"La mer est toujours magnifique, les couchers de soleil splendides"

L’ancienne paysagiste née à Wardrecques, près de Saint-Omer, est profondément attachée à son village, niché entre les caps Gris-Nez et Blanc-Nez. Plage de sable fin, dunes, vent marin, tout est réuni pour tomber sous le charme de la petite station balnéaire. Quand elle parle de sa commune, ses yeux bleu azur s’illuminent, ses mains s’agitent. « C’est une vie extraordinaire. Le paysage n’est jamais pareil, la mer est toujours magnifique, vous avez des couchers de soleil splendides, ici. » 

Dans son salon, plusieurs tableaux, dans des cadres bleu marine, présentent des voiliers naviguant près de côtes inconnues. Sur la table basse, un rapport sur la conservation des dunes daté de 2020 attire le regard, tandis que les poissons rouges de l’aquarium tournent inlassablement en rond.

De son côté, Brigitte a décidé d’avancer et met tout en œuvre pour lutter contre la montée progressive des eaux. Grâce à la mobilisation de son association et au soutien de la municipalité, des pieux ont été installés dans l’eau pour casser le courant. Autre solution : les sapins. Depuis quatre ans, ils sont « disposés les uns au-dessus des autres sur les crêtes de dune, se décomposent, et la nourrissent » , créant ainsi une barrière naturelle contre l’érosion. Selon la retraitée, ces solutions apportent une « certaine tranquillité », même si elles restent insuffisantes. 

On était à 250 mètres de la mer, et maintenant, on n’est plus qu’à 30 mètres.

Pour les conifères, elle dit avoir eu l’idée après avoir vu cette solution dans des reportages « à droite, à gauche ». Le recul du trait de côte reste néanmoins inéluctable. « Dans trente à cinquante ans, les 60 maisons du quartier auront disparu. Mais moi, je ne serai plus là pour le voir », déclare la retraitée avec détachement. Malgré les obstacles, Brigitte reste optimiste. « Il ne faut pas dramatiser. Il faut être confiant. On sait qu’il y a un risque, mais on sait aussi qu’on essaie de le maîtriser »

Se défendre pour ne pas effacer les souvenirs

Wissant est le cœur de sa vie. Le village a vu éclore son histoire d’amour avec son mari, et sa passion pour la navigation. Lors de ses vacances d’été, elle y venait pour rendre visite à sa marraine. Et c’était l’effervescence. Les familles habituées venaient profiter des vagues et des balades sur la digue. Aujourd’hui, la retraitée consacre la plupart de son temps à son rôle de vice-présidente des Amis de la baie de Wissant.

C’est à cette époque qu’elle rencontre Louis, sans se douter un instant qu’ils passeront leur vie ensemble. « Mon mari venait aussi quand il était tout petit. On allait au club Mickey, on a appris à nager ensemble là-bas à l’âge de 2 ans », se rappelle Brigitte avec un doux rire. Soudainement, au cours de son récit, elle repense à une anecdote. « J’ai même une photo de lui, je vais vous la montrer elle est amusante. » Sur un tirage en noir et blanc datant de 1948, un enfant de trois ans se tient bien droit, debout devant le mur de l’Atlantique, construit par les Allemands lors de la Seconde Guerre mondiale. Le négatif qu’elle nous tend fièrement est le témoin précieux d’un temps révolu et la preuve irréfutable de l’attachement historique qu’elle éprouve pour Wissant. 

Brigitte Couhé montre le cliché d'un jeune garçon qui deviendra plus tard son mari, Louis. ©Lucas Roué.

Autrefois navigatrice, elle ne met aujourd’hui plus les voiles. « J’ai fait énormément de catamaran. On était les pros du cata ! J’allais jusqu’à Boulogne en bateau, on pouvait y passer l’après-midi, c’était génial », se remémore-t-elle avec nostalgie. Aujourd’hui, la retraitée consacre la plupart de son temps à son rôle de vice-présidente des Amis de la baie de Wissant.

Transmettre tout en restant au cœur de l’action

Le nom de Brigitte Couhé est aussi connu des locaux, grâce à une action commune avec la municipalité. À travers l’opération « Un sapin pour ma dune », « les sapins de Noël des habitants et les invendus de certaines jardineries sont collectés pour protéger les espaces sensibles », explique la mairie. 

Vers la fin de matinée, Brigitte part se balader. Sur la digue, les vagues se cassent contre les rochers. Le vent est glacial. Personne à l’horizon. La retraitée aime ces moments de calme face à la mer. Un calme pour lequel elle se bat. Brigitte marche lentement, les mains enfoncées dans ses poches pour les protéger du froid. 

En observant les vagues, elle annonce son prochain engagement, au sein d’un « comité sur le trait de côte ». Un nouveau défi qui fait sens pour celle qui reste en première ligne de la lutte contre l’érosion.

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