Depuis plus de mille ans, ces pittoresques canaux protègent le Nord et le Pas-de-Calais de submersions terribles. Une fourmilière d’ouvriers et de machines assure, dans l’ombre, le bon fonctionnement d’un réseau dépassé par le changement climatique.
« Ah, ici ça a débordé ! » Le souvenir des inondations de 2023 reste vif dans la mémoire de Didier Denis, ouvrier de la section de wateringues d’Audruicq (Pas-de-Calais). L’institution publique veille sur 10 000 hectares de wateringues – de petits canaux censés prévenir les inondations dans le delta du fleuve Aa.
Ce mardi, depuis l’aube, l’équipe de Didier Denis brave le froid de janvier pour s’occuper du watergang « Sauvage », un des canaux sous sa responsabilité. Difficile d’imaginer que le mince filet d’eau au fond du fossé soit un jour sorti de son lit. Mais la boue dans le champ voisin rappelle que la menace d’une crue n’est jamais loin.
C’est que la section se trouve au milieu d’un polder – des terres artificiellement gagnées sur la mer. Entre Dunkerque, Saint-Omer et Calais, « 420 000 habitants vivent sur un territoire menacé d’invasion marine », pointe Philippe Parent, directeur de l’Institution intercommunale des wateringues (IIW). Depuis le XIe siècle, les populations creusent donc des canaux pour évacuer l’eau. Sans les wateringues, la zone serait inhabitable, en proie aux inondations.

Faute de main-d’œuvre, les canaux finissent par s’effondrer
Au total, 1 500 kilomètres de canaux quadrillent le polder. Un réseau unique en France qui souffre du grand nombre d’acteurs impliqués dans sa gestion, explique Philippe Parent. L’IIW « gère les gros canaux sans bateaux. Ceux qui sont praticables, ce sont les Voies navigables de France qui s’en occupent. Et tous les petits, ce sont les sections de wateringues », qui en assurent l’entretien quotidien.
Au programme ce jour-là : « curage », annonce Didier Denis. Aidée d’un tractopelle, son équipe « enlève 50 centimètres de vase » du fond des canaux. Débroussaillage, faucardage – fauche des herbes au fond de la wateringue – consolidation des fossés… Les tâches sont trop nombreuses : l’ouvrier n’a que deux collègues pour couvrir toute la section. Faute de main-d’œuvre, les canaux non entretenus finissent par s’effondrer.

Sans compter que la petite équipe s’occupe aussi de 17 stations de pompage. Les wateringues situées sous le niveau de la mer ne s’écoulent pas vers l’océan ; il faut des pompes pour hisser l’eau jusqu’aux canaux principaux. « Dans chaque station, il y a deux pompes, précise Didier Denis, débitant un maximum de 2 000 mètres cubes par heure ».
« Ce qu’on avait imaginé n’est plus suffisant »
En bout de course, les canaux sont fermés par d’immenses vannes. Ce sont celles de l’ouvrage Tixier, à Dunkerque, que Philippe Parent préfère montrer aux visiteurs et visiteuses. « Vous voyez, le niveau de la mer est haut. De l’autre côté, côté canal, il est beaucoup plus bas. Il ne faut pas que la mer rentre .» À marée haute, d’immenses pompes prennent le relais pour vider les canaux. Pendant les inondations, « en quatre mois, on a pompé 400 millions de mètres cubes, contre 100 millions en une année en temps normal ».
Malgré tout, face au changement climatique, « on réalise que ce qu’on avait imaginé il y a cinquante ans ne suffit plus », s’alarme Didier Denis. L’année dernière, se rappelle le technicien, « les canaux étaient remplis et les wateringues n’arrivaient pas à y rejeter l’eau », provoquant des inondations historiques.
Depuis 2023, l’IIW a mené quelques rénovations mineures, mais, pour les travaux plus ambitieux, « il n’y a pas de solution simple : ça va coûter des millions d’euros », souffle Philippe Parent. En attendant, les sections de wateringues font avec les moyens du bord. En cas de crue, les efforts de Didier Denis risquent de rester vains, comme l’année dernière.
