Scaphandrier, un métier sous pression

Louis Lecherf fait partie des quelque 700 scaphandriers en activité en France. Un métier à la fois méconnu et souvent idéalisé. Loin de l’image d’un baptême de plongée en vacances, cette profession exige des compétences pointues et une résistance sans faille, bien loin des clichés.

« L’eau c’est toute ma vie », confie Louis Lecherf, la voix empreinte de passion et de fascination. Sur son compte Instagram, des dizaines de clichés de ses plongées témoignent de son obsession, qui remonte à l’enfance. À 8 ans, il découvre cette activité, et depuis, il n’a jamais arrêté. À l’image de l’eau qui sculpte la roche, cet élément a modelé son parcours, l’entraînant vers une vocation atypique : être scaphandrier.

Chaque matin, il enfile son scaphandre d’une cinquantaine de kilos, digne des équipements des héros de l’Odyssée de l’espace, et sillonne les eaux du Nord. Lui-même se compare à un astronaute : « Quand on passe le miroir de l’eau, on a le sentiment d’être sur une autre planète. »

Quand on passe le miroir de l’eau, on a le sentiment d’être sur une autre planète.
Louis Lecherf, scaphandrier

Véritable tête brûlée, Louis est l’un des rares plongeurs français au niveau 3A, c’est-à-dire habilité à plonger sans limite de profondeur. Dans l’obscurité, le scaphandrier a appris à maîtriser sa respiration et à compenser l’absence de vision par ses autres sens : « Quand vous touchez les choses, vous ressentez tout, vous arrivez à visualiser. » Pour lui, rien de magique. Simplement des années d’entraînement et un maître-mot : l’organisation. « Tout l’art, c’est de savoir travailler dans le noir complet. »

Dans les bassins des centrales nucléaires ou dans les stations d’épuration, ses missions sont aussi multiples que ses chantiers : « Vous allez devoir casser du béton un jour, faire du ferraillage un autre. » Une riche palette de compétences à maîtriser sous l’eau. « Ça demande d’être un couteau suisse professionnel », poursuit‑il. Pour devenir scaphandrier, Louis Lecherf a dû cumuler deux ans de recherches, une licence en conduite de chantier, un niveau 4 en plongée ainsi qu’une formation à l’École nationale des scaphandriers de Marseille. S’il a toujours eu le goût de l’aventure, des voyages et de l’alpinisme, l’idée de devenir scaphandrier ne lui avait jamais effleuré l’esprit. « Il n’y a aucune publicité sur le métier. Il faut déjà en entendre parler pour envisager de le pratiquer », explique‑t‑il.

C’est en 2014, au Sénégal, qu’il découvre cette profession. « À l’origine, je viens du secteur du génie civil, mais ça manquait d’adrénaline », raconte Louis. Attiré par les « plongées à risques », il se retrouve à nettoyer des épaves sur l’île de Gorée, face à Dakar, pour l’Oceanium, une association de protection marine. « On nettoyait des filets de pêche abandonnés pour sauver les poissons. C’était dangereux et j’ai adoré », se rappelle‑t‑il.

Avec l’association l’Oceanium, Louis rencontre des scaphandriers qui lui racontent leurs missions périlleuses, comme descendre dans des puits étroits de 40 mètres de profondeur pour réparer des vannes, dans l’obscurité totale. Il se dit alors : « Ces gars ont du vécu, c’est ce que je veux faire. » Cet ancien du BTP se lance alors dans l’aventure, un moyen pour lui de conjuguer ses compétences techniques et sa passion pour la plongée.

Aujourd’hui âgé de 35 ans, avec plus de dix ans d’expérience, il espère continuer. « Il faut surtout avoir la passion du chantier sur lequel on travaille, raconte-t-il. Quand on dépasse trois ans, c’est qu’on est fait pour. L’âge n’a pas forcément d’importance. » 

Une profession idéalisée...

Le métier de scaphandrier peut séduire. Et pourtant, Louis tient à apporter de la nuance : « Les écoles ont tendance à vendre du rêve, promettant des missions exotiques et des salaires mirobolants. » Mais la réalité est tout autre : « On gagne en général 13 euros de l’heure. On peut se retrouver dans une station d’épuration à dégager des amas de cheveux. Parfois, on nage littéralement dans la merde. » Dans l’obscurité, les endroits sont difficiles d’accès et le danger est constant. « On est exposé à la totalité des risques qui existent : la vibration, la radiologie, l’hypothermie, l’hyperthermie… » détaille Louis.

Malgré les suivis réguliers, les problèmes de santé, voire la mort, peuvent survenir : « Il y a un mois, un scaphandrier est encore mort à cause d’une aspiration, [phénomène causé par une différence de pression entre deux hauteurs d’eau]. » Sans parler des pannes d’air. La concentration elle-même peut être source de danger : certains ont perdu des doigts sans s’en apercevoir.

Quant à la vie familiale, elle n’est pas non plus de tout repos. Pour Alice Lecherf, son épouse depuis onze ans, l’organisation peut s’avérer complexe. « Ce n’est pas toujours évident de s’adapter à son emploi du temps, qui n’est jamais le même ! Ça peut inclure des week-ends, des interventions de dernière minute », confie-t-elle.

Même si les femmes restent relativement absentes du secteur (environ 1% d’après Jerôme Vincent, directeur de l’Ecole nationale des scaphandriers de Fréjus), celui-ci tend à se diversifier. Souvent issues de formations plus diverses, « elles apportent des compétences techniques et de nombreux outils cruciaux sur le terrain »

... et pourtant indispensable

Face aux difficultés, la profession connaît un turn-over important. « La moitié des nouveaux scaphandriers quittent leur poste dès la première année. » Pourtant, le métier ne manque pas de candidats : « Beaucoup viennent de l’armée. Certains partent, mais d’autres arrivent immédiatement. » Louis Lecherf estime d’ailleurs que ce phénomène n’est pas forcément négatif. « Dès que tu as peur, tu n’y vas plus. Si tu as le moindre doute, il ne faut pas prendre de risques. » Il le rappelle : « L’eau ne pardonne pas ». Il faut donc être bien préparé. Pour Alice, qui pratique également la plongée, l’activité de son mari a été bénéfique. « J’ai failli me noyer à l’âge de 10 ans, et pendant longtemps, j’avais peur de l’eau. Mais j’ai réussi à surmonter ma phobie. » Si son épouse semble moins inquiète face aux dangers du métier, c’est parce qu’un plongeur n’est jamais seul. Il est toujours accompagné par deux autres collègues qui restent à la surface pour garantir sa sécurité. Ils sont notamment reliés entre eux par une corde de secours, la « liaison ombilicale », qui fait circuler l’air.

Sur le marché, des robots sous-marins commencent à faire leur apparition. Malgré les avancées technologiques, Louis Lecherf rappelle l’irremplaçabilité de l’humain. « Envoyer un robot à plusieurs millions d’euros pour débloquer un morceau de bois dans une écluse n’a aucun sens, déplore‑t‑il, un plongeur peut résoudre le problème en dix minutes. Sans nous, des infrastructures sous-marines mal entretenues risquent de provoquer de graves dégâts… »

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