Le département de l’Oise a connu une sécheresse intense à l’été 2022, responsable de fissures sur de nombreuses maisons. Dans les petits villages du Crocq, de Cormeilles et de Maisoncelle-Tuilerie, où l’état de catastrophe naturelle a pourtant été reconnu dès 2023, les sinistrés peinent à obtenir réparation.
Dans la rue principale du Crocq, village du nord de l’Oise, de multiples fissures se dessinent sur les façades des maisons. Elles sont apparues subitement à la fin de l’été 2022, particulièrement sec dans le département. En juillet, le niveau de précipitations a été cinq fois inférieur à la normale. Lorsqu’il découvre les murs lézardés, Pascal Decaux, conseiller municipal à l’époque, ne croit pas au hasard. Son intuition est bonne : les fissures résultent d’un phénomène aggravé par la sécheresse, le retrait-gonflement des sols argileux sur lesquels ont été construites les maisons de la commune. « Un sol argileux, c’est comme une éponge : quand on l’humidifie, il gonfle et quand il sèche, il se rétracte, explique Sébastien Gourdier, ingénieur au Bureau de recherches géologiques et minières. Cela se répercute ensuite sur la structure des bâtiments au-dessus. »
Leur sinistre étant lié à un épisode de sécheresse d’une intensité anormale, les habitantes et habitants du Crocq touchés peuvent espérer être indemnisés. Mais pour cela, l’état de catastrophe naturelle doit préalablement être reconnu pour leur commune. C’est Pascal Decaux qui va prendre en main la procédure. « J’ai toqué à toutes les maisons avec mon appareil photo, en demandant aux gens s’ils voulaient constituer un dossier », explique l’ex-conseiller. Au total, 17 dossiers sont montés dans ce bourg de 180 âmes. La reconnaissance officielle intervient le 3 mai 2023.
Renoncer ou résister
Malgré cette première victoire, la population va très vite déchanter. Des spécialistes sont envoyés sur place par les assurances afin d’évaluer les dommages. Et d’après leur expertise, il n’y aucun lien entre fissures et sécheresse. Pascal Decaux a assisté à une de ces expertises, en janvier 2024. « Après le départ de l’expert, pardonnez-moi, mais j’étais un peu sur le cul, fulmine-t-il. Il a essayé de nous faire croire que c’est l’ancienneté des maisons qui était responsable des dégâts ! » Résultat : aucun des 17 foyers impactés ne peut être indemnisé. Et personne ne souhaite poursuivre une bataille qui semble perdue d’avance.
Pire, certains n’ont d’autre choix que de réaliser les travaux à leurs frais. C’est le cas de la famille Nortier. La maison de ce couple à la retraite est l’une des plus affectées du village. Sur sa façade avant, on devine de multiples fissures, désormais recouvertes d’enduit. « Certaines étaient tellement profondes qu’on pouvait voir dehors depuis l’étage, se remémore Martine Nortier. Et le mur bougeait, on avait la trouille ! » Finalement, le couple a effectué des travaux sans passer par un professionnel, pour un montant total de plus de 3 000 euros.

Pour Sylvie et André Vigne, qui vivent à Maisoncelle-Tuilerie, hors de question de débuter les réparations sans la garantie d’être indemnisés par leur assurance. Dans ce village, à quelques kilomètres du Crocq, sept foyers sont concernés par les fissures. Mais aujourd’hui, le couple est l’un des seuls à poursuivre la bataille. « J’ai rappelé les assureurs la semaine dernière et je leur ai dit : “ Vous allez bien marquer sur votre dossier qu’on ne lâchera pas l’affaire, écrivez-le en rouge ” », martèle Sylvie.
« Je les appelais tous les huit jours »
Comme au Crocq, les experts n’ont initialement pas reconnu la sécheresse comme cause des fissures. Sylvie regrette que les membres du voisinage aient « lâché prise » après cette première expertise non concluante. Insatisfait, le couple décide alors d’envoyer une lettre à son assurance pour demander une contre-expertise. Un sol qui penche, des portes qui ne ferment plus, des fissures sur la façade et aux coins des fenêtres… Les traces laissées par les mouvements de terrain sont bien visibles dans leur maison, comme le signalent les sexagénaires lors du passage du deuxième expert. « On lui montre simplement le parquet : “ Vous voyez, il gondole ! ” », s’exclame Sylvie Vigne, reproduisant leur échange avec le professionnel. Celui-ci est plus conciliant et demande une étude de sol. « Ils ont prélevé jusqu’à 12 mètres de profondeur. Et il s’avère que ça venait bien de nos sols », souligne-t-elle.
Le coût des travaux a été estimé à 60 000 euros, mais ce devis ne convainc pas la famille. Les Vigne ont attendu un nouveau chiffrage pendant près d’un an, menant une bataille acharnée contre leur assurance. « Je les appelais tous les huit jours », confie Sylvie en montrant un cahier où elle a méthodiquement consigné tous ses appels par ordre chronologique. En octobre dernier, le troisième expert finit par passer et, récemment, on leur confirme la prise en charge des travaux. Mais à ce jour, le couple n’a toujours reçu aucun devis.
Ne jamais abandonner, c’est aussi le crédo d’Éric Tourain, maire de Cormeilles. En plus d’une vingtaine d’habitations et de la salle des fêtes, l’église du village de 400 habitantes et habitants est fissurée. À l’intérieur de l’édifice datant du XVIe siècle, des fissures de près de trois centimètres apparaissent au niveau de la nef, sous les vitraux et au-dessus des portes. L’édifice ne risque pas de s’effondrer, mais un dossier – toujours en attente – a été constitué pour que les travaux soient indemnisés.

Plusieurs millions d’euros de dégâts
Arpentant le village de Cormeilles, le maire désigne du doigt chaque bâtiment pour présenter l’étendue des dégâts. Il s’arrête à la jardinerie afin d’y rencontrer Marcel, un employé. Ce dernier montre la maison de son patron, fissurée alors qu’elle n’a « que 11 ans. Et après, ils nous disent que c’est l’ancienneté qui cause les fissures », soupire Éric Tourain. Une voisine qui sort de chez elle renchérit : « Les assurances prennent notre argent mais quand il faut payer, elles ont du mal. »
Conscient que, comme partout ailleurs, les premières expertises dans sa commune seraient infructueuses, l’édile a pris les devants. « J’ai voulu me couvrir en faisant appel à un cabinet d’expertise indépendant parce que je me suis dit que les assurances allaient me balader, explique-t-il. Quand l’expert de ce cabinet est venu à Cormeilles, il m’a tout de suite dit que les fissures étaient causées par la sécheresse. »
Grâce à ce deuxième avis, Éric Tourain a pu mettre la pression sur les assureurs. À la suite de prélèvements réalisés sur les terrains touchés, ils ont fini par reconnaître le rôle de l’aléa climatique dans 20 dossiers sur 23. Sans que personne n’ait été dédommagé à l’heure actuelle. Le maire s’impatiente : « Chez moi il y en a pour plus de 200 000 euros de travaux. Pour le village, ce sera plusieurs millions. » Il menace désormais de déposer une plainte en justice contre les assureurs.