« Dès qu’on a le dos tourné, ils sautent à l’eau » : l’association Lille eau libre milite pour nager en eau libre dans tous les Hauts-de-France

La nage en eau libre est interdite sur la quasi-totalité des Hauts-de-France. Une association milite pour un accès à la baignade dans les rivières de la région par des actions de désobéissance civile.

Les cris d’un pêcheur, mécontent de partager le lac avec cinq hommes-grenouilles, troublent la quiétude hivernale de Wingles : «Vous avez une autorisation ? Non ? Alors partez ! » En cause, une réglementation préfectorale qui sème des mésententes. La pêche tout comme la nage y sont interdites pour prévenir la noyade et les contaminations. Des autorisations sont parfois données pour la pêche. Jamais aux 60 nageurs et nageuses de Lille eau libre. La demande n’est d’ailleurs pas faite, ce serait courir le risque d’attirer l’attention.

Habituellement, elles et ils nagent sans faire de vague. En combinaison et une bouée orange à la taille. Ornées de lunettes de plongée, leurs têtes sont cagoulées. En sortant de l’eau, leurs joues rougissent. La gravité retrouvée les fait vaciller. Entre douleur et plaisir, le froid de l’eau pique leur peau. Ce sont ces sensations qui justifient de braver l’interdit.

La désobéissance civile est l’ADN de l’association. Depuis 2023, elle contourne la proscription de la nage dans les rivières du Nord et du Pas-de-Calais. Leur dernière altercation avec la police date d’Halloween. L’amende encourue est de 38 euros mais la sanction est peu appliquée.

Rencontre avec le collectif Lille Eau Libre qui organise des baignades dans la Deûle. ©Alice Gosselin

La somme non dissuasive occasionne une importante charge administrative pour la police. Dans les faits, l’arrêté préfectoral de 2014 est largement ignoré par les habitantes et habitants des Hauts‑de‑France. Alain Boonefaes, adjoint au maire de Gravelines, explique : « Nous essayons de les dissuader, mais dès qu’on a le dos tourné, ils sautent à l’eau. C’est le jeu du chat et de la souris. On les fait sortir de l’eau, on prend leurs noms mais rien n’y fait. On ne va pas les sanctionner pour ça. »

Des risques mal évalués

« Avec la construction des piscines, se baigner dans la rivière est devenu sale et étrange », ironise Isabelle Macquart, secrétaire de l’association. Mais difficile d’ignorer les risques sanitaires. La pollution s’accumule dans les rivières, notamment dans la Deûle, où l’absence de pente, le faible débit et le fond en béton empêchent l’autoépuration. « Quand l’urbanisation, l’industrialisation et l’agriculture se superposent sur un bassin, la qualité du cours d’eau se dégrade », explique Dorothée Bolzan, hydrobiologiste. En cas de forte pluie, les stations d’épuration débordent, les risques augmentent. « 5 à 10 % d’eau non traitée est déversée dans les rivières », confie Patrick Vanacker, technicien à la station d’épuration de Saint‑Omer. La pollution fécale engendrée peut causer des gastro-entérites, des otites et des dermatites selon l’Agence régionale de la santé (ARS).

Avec la construction des piscines, se baigner dans la rivière est devenu sale et étrange. 
Isabelle Macquart, secrétaire de Lille eau libre

L’application gouvernementale « Qualité rivière » classe la Deûle comme « médiocre », mais c’est l’état de santé de l’écosystème aquatique qui est recensé et non la qualité sanitaire. « Cela ne vous dit pas si vous avez le droit d’aller vous baigner dedans », explique Dorothée Bolzan. L’ARS a le monopole des analyses sanitaires et elle ne teste que les lieux de baignade autorisés. Lille eau libre ne fréquente que des eaux interdites sans aucun recul sur la dangerosité potentielle. C’est pourquoi l’association milite pour la décentralisation des tests, première étape vers une cartographie sani­taire des cours d’eau et la création de bassins en eau libre.

Sollicitée, la mairie de Lille n’a pas souhaité répondre. « Ne pas nous donner la possibilité d’effectuer les tests est le meilleur argument pour dire que c’est dangereux, car on n’apporte pas la preuve du contraire », déplore, défaitiste, Frédéric Gévart, président de l’association.

Défiler vers le haut
Close