À la frontière du Boulonnais et du Montreuillois, dans le département du Pas-de-Calais, la commune de Dannes fait face à l’implantation d’une usine de traitement des eaux en bordure du village. Deux habitantes se dressent contre leur communauté d’agglomération, tandis que leur maire est résigné.
Personne ne veut d’une station d’épuration dans son jardin. Sonia Baherlé et Marjorie Baheux, deux habitantes de Dannes, sont bien de cet avis. Dans la commune de 1300 âmes, les deux amies se mobilisent contre l’emplacement de la future station d’épuration (STEP) implantée à moins de cent mètres des premières habitations. « Ils sont en train de détruire notre beau village », déplore Sonia Baherlé.
Le 25 octobre dernier, les deux opposantes ont organisé une manifestation sur le site d’installation, en face de la cimenterie Eqiom, qui « a réuni une centaine de personnes ». Pour s’organiser, elles réinvestissent aujourd’hui une association créée quelques années auparavant : le Collectif de défense des intérêts des Dannois. Un moyen pour elles de se faire entendre par la communauté d’agglomération du Boulonnais (CAB), cheffe de file du projet. Elles ont recueilli 600 signatures pour leur pétition de contestation.
Une station, deux communautés d’agglomération
Le traitement des eaux de Dannes se fait actuellement à trois kilomètres, sur la station d’épuration de la commune de Camiers. Mais la STEP arrive à saturation en période estivale, en raison du dynamisme de la station balnéaire de Sainte-Cécile, « dépassant parfois certains seuils légaux en droit européen de l’environnement », d’après Olivier Carton, maire sans étiquette de Dannes. Moderniser la station de Camiers a bien été évoqué. Pour l’élu, « cette option paraissait la plus pertinente ». Un avis que ne partage pas Bertrand Leleu, directeur du pôle opérationnel de la communauté d’agglomération dont dépend la station. Dans un entretien accordé à La Voix du Nord en avril 2022, il affirmait que « cela ne sert à rien d’agrandir celle de Camiers, car cela reviendrait quasiment aussi cher que d’en reconstruire une nouvelle ».
C’est surtout la frontière administrative érigée entre les deux municipalités qui impose la fin de cette gestion commune. Depuis la loi de réorganisation territoriale de 2015 [ loi NOTRe ], ce sont les intercommunalités qui deviennent compétentes pour l’assainissement. Dannes dépend de la CAB et Camiers – Sainte-Cécile de la CA2BM, la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois. Pour Gaston Callewaert, maire sans étiquette de Camiers, « c’est une histoire entre communautés d’agglomération. La nôtre ne veut pas faire les travaux tout de suite ».

Contactées, les intercommunalités n’ont pas répondu à nos sollicitations. Olivier Carton, lui, a la sensation de ne pas avoir voix au chapitre, « je suis un peu victime de ma petitesse ».
Un emplacement qui fait débat
Une réunion publique a été organisée le 16 septembre 2023, mais depuis, Marjorie Baheux et Sonia Baherlé regrettent qu’aucun autre échange n’ait été organisé. « On nous impose tout. Le lieu, la technologie. Et on ne discute pas », s’indigne la première, présidente en devenir du Collectif de défense des intérêts des Dannois. Au cœur des préoccupations des Dannoises : l’emplacement de la station d’épuration choisie par la CAB.
L’ancienne municipalité avait identifié un terrain dans son plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi). Une option rejetée par la municipalité actuelle, car située « à une vingtaine de mètres des habitations, c’est beaucoup trop proche », explique Olivier Carton. Dès 2021, il a proposé d’autres terrains, notamment un espace loin du centre. « C’est un espace forestier en point bas de village, comme ça l’eau s’exfiltre facilement. Il n’y a pas de nuisances olfactives, visuelles, je pensais que ça allait fonctionner », explique l’élu dannois. Problème, la forêt en question est classée « espace naturel remarquable ».

L’édile, enseignant-chercheur en droit administratif, comptait sur une exception légale permettant d’utiliser cet espace pour y placer une station d’épuration.
Finalement, la communauté d’agglomération du Boulonnais a choisi le terrain en face de la cimenterie Eqiom. Olivier Barbarin, qui chapeaute le projet en tant que vice-président en charge des politiques de l’eau, affirmait à La Voix du Nord en septembre 2023 que « le site d’Eqiom a été retenu car c’est celui qui présentait le plus grand avantage pour l’installation d’une STEP sur la commune ». Une localisation « absurde pour Olivier Carton, puisqu’il va falloir créer tout un système de pompage pour faire remonter les eaux usées ». Le maire a surtout l’impression qu’il n’a jamais été question d’envisager un autre terrain : « la CAB a prétendu réfléchir à plusieurs sites, mais elle était en négociation avec Eqiom depuis juin 2021 pour le terrain retenu. »
Un projet qui suscite des inquiétudes
« Je suis une maman qui va défendre son bien, parce que c’est l’investissement d’une vie », assure Marjorie Baheux, qui craint pour la dévalorisation de sa maison située à moins de cent mètres de la station. Pour Alice Delahodde, conseillère en immobilier indépendante au sein du réseau IAD France depuis quatre ans sur le secteur Dannes-Camiers, il n’y a pas de doute : « C’est acté qu’une station d’épuration dévalorise, et ça sera un problème pour la vente car cela peut être un critère rédhibitoire pour certains acheteurs. Certaines personnes vendront peut-être aussi leur maison par rapport à ça. »
Sur le groupe Facebook des opposants au projet, les craintes de la population ne s’arrêtent pas là. Comme le risque de nuisances olfactives. Sonia Baherlé, qui a récemment monté son salon de coiffure à Dannes, se désole : « On a peur. Entre ceux qui craignent des odeurs au quotidien, moi qui ai peur de perdre de la clientèle, et on a un camping aussi. » D’après une ingénieure spécialisée dans les infrastructures de traitement des eaux usées d’un grand groupe industriel, « forcément, les eaux usées cela ne peut pas sentir bon, mais aujourd’hui tout est fait pour confiner les arrivées. Les bassins de traitement, eux, ne sentent pas ».
Certaines personnes craignent également que les rejets de la station polluent le ruisseau de Camiers, ou aggravent les inondations futures. Pour Olivier Maury, responsable du service environnement à la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) du Pas-de-Calais, « du point de vue environnemental, il n’y a rien à dire de notre côté. Et la quantité d’eau rejetée est négligeable par rapport au débit du cours d’eau ».
La mobilisation continue et s’intensifie
« S’il y a un recours, il viendra des riverains », présume Olivier Carton, qui s’est engagé à signer le permis de construire. Aujourd’hui, le dossier est entre les mains de l’architecte des Bâtiments de France. La visibilité de l’église, classée monument historique depuis la station, pourrait être le dernier blocage à sa construction.
Pour les membres de l’association de défense des Dannois, la mobilisation va se poursuivre. Courrier adressé à la CAB, récolte de témoignages, nouvelles manifestations… Sonia Baherlé le garantit : « On va continuer à bouger ». Tandis que le dialogue, lui, s’enlise.