Cultiver sans irriguer : le défi de Stéphane Bleuzé

Stéphane Bleuzé est à la tête d’une propriété agricole sur la commune d’Houplin-Ancoisne depuis 2008. Son exploitation est située sur une zone où l’irrigation est limitée et la gestion de l’eau très encadrée. Plutôt que de déménager la ferme, il y a développé des solutions bien à lui.

Stéphane Bleuzé a un tic de langage : il parle rarement à la première personne. L’exploitant agricole, président du syndicat Coordination rurale du Nord, préfère les mots « on » et « nous ». Comme une manière d’inclure dans son témoignage personnel la réalité globale du monde agricole. Les défendre, le syndicaliste de 50 ans en a fait un mantra depuis qu’il est petit. 

« À l’école, j’étais avec beaucoup de fils et de filles d’agriculteurs comme moi. Souvent, ils se faisaient traiter “d’enfants de pollueurs”. Ça m’a marqué », rembobine-t-il. Lui, avec sa carrure de rugbyman, on ne l’embêtait jamais. Stéphane a repris l’exploitation familiale – sixième génération à prendre la relève – avec son frère en 2008. À Houplin-Ancoisne, dans le département du Nord, la famille est propriétaire de 160 hectares. Problème : leurs terrains sont sur la zone de captage d’eau potable de Lille-Sud. « C’est dans nos sols que la métropole européenne de Lille puise l’eau pour la fournir à ses habitants », résume Stéphane. Ici, les travaux d’urbanisation sont autorisés au compte-gouttes, pour éviter de polluer les nappes phréatiques. Difficile aussi de pouvoir forer le sol pour s’alimenter en eau.

Le forage, c’est pourtant la solution la plus prisée des agriculteurs et agricultrices pour se fournir en eau, voire la condition sine qua non pour certaines activités agricoles. En allant la chercher dans les sous-sols, ils s’assurent d’en obtenir en grandes quantités.

Pour faire face à la baisse de ses revenus, Stéphane multiplie les activités. Il s’occupe de ses terres et propose ses services pour entretenir celles d’autres agriculteurs. Enfin, il crée une société pour produire et revendre son propre compost. « Je suis un vrai businessman », aime-t-il plaisanter.

L’agriculteur Stéphane Bleuzé les pieds sur son champ de maïs, une terre familiale transmise de génération en génération depuis le XVIIIe siècle. ©Lucas Roué

Pour ses cultures, il cultive principalement des pommes de terre et des betteraves sucrières, des variétés gourmandes en eau. Pour pallier l’interdiction de forage, il a dû développer d’autres solutions. « On a de la chance d’être dans le Nord. Il pleut beaucoup ici. On laboure au maximum et on désherbe le moins possible », explique le Nordiste.

Son véritable ingrédient secret, c’est d’utiliser son propre engrais. Avec sa société, il récupère les déchets verts de parcs naturels et d’habitants de sa communauté de communes pour obtenir son propre compost. Avec ça, ses plants ont besoin d’être moins arrosés.  « Grâce à mon compost, la capacité de rétention d’eau du sol augmente, et j’ai réduit de près de 50 % mon utilisation d’engrais chimiques et de produits phytosanitaires», explique-t-il. Malgré ses solutions, l’interdiction d’irriguer est une perte de rendement pour Stéphane. « Avec deux arrosages, on serait capables de gagner 30 % de revenu en plus », estime-t-il. 

Avec deux arrosages, on serait capables de gagner 30 % de revenu en plus 
Stéphane Bleuzé, agriculteur d’Houplin-Ancoisne

Chez les Bleuzé, on a l’agriculture dans le sang. Le fils de Stéphane, à peine sorti de l’école, est pressenti pour reprendre le flambeau. Il s’occupe déjà des parcelles d’une voisine. « Elle nous l’a demandé expressément au moment de sa retraite », raconte-t-il, tout sourire. Lui, va continuer avec son franc-parler de s’engager dans son activité syndicale. Pour soutenir que son garçon, ainsi que tous les autres agriculteurs et agricultrices, ne sont pas des « enfants de pollueurs »

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