Depuis 2013, la chambre d’agriculture des Hauts-de-France mène un programme de maintien de l’élevage dans les marais, les prairies ou les baies. L’objectif : réconcilier les éleveurs avec ces espaces naturels fragiles pour mieux les préserver.
La moitié des zones humides françaises a disparu entre 1960 et 1990, drainées et asséchées pour être exploitées. Pour Gaëtan Larrivaz, responsable du développement rural du parc naturel de la Scarpe-Escaut, « les zones humides doivent être valorisées économiquement pour être protégées , et ce sont les éleveurs qui le font le mieux ».
La protection de ces espaces est primordiale. Ils assurent la qualité de l’eau ainsi que la bonne gestion de la ressource, servent de zone tampon en cas de crue et, à l’échelle mondiale, ils abritent environ 40 % des espèces végétales ou animales, selon le Muséum national d’histoire naturelle. Grâce au pâturage, le bétail entretient ces écosystèmes tout en préservant leur équilibre. Aujourd’hui, un tiers des zones humides du bassin Artois Picardie est donc occupé par l’agriculture.
L’élevage semble être la solution mais, pour les agriculteurs et agricultrices, les zones humides sont synonymes de contrainte. Elles multiplient les risques de parasites et sont inexploitables lorsqu’il pleut trop. « Nos animaux les entretiennent pour le bien commun mais ce n’est pas rentable pour nous », déplore Julie Miroux, agricultrice à Wallers.
Jean-Louis Bouthors, éleveur à Douars, dans la vallée de la Somme, n’a pas pu exploiter ses dix hectares de zones humides en 2024. « Le niveau d’eau dans les prairies était trop haut. J’ai dû utiliser des parcelles destinées à la fauche pour faire paître mes animaux, mais maintenant je manque de foin pour l’hiver. J’ai estimé le manque à gagner à environ 7 000 euros. »
Alors, quand elles ne sont pas drainées, ces prairies humides, peu productives, sont abandonnées. La végétation s’y développe et menace l’équilibre de l’écosystème.
« L’herbe est toujours verte chez nous »
Pour les encourager à exploiter ces espaces, l’Agence de l’eau du bassin Artois Picardie, qui veut améliorer la rentabilité de ces exploitations agricoles, lance en 2013 le programme de maintien de l’agriculture en zones humides (PMAZH).
La première phase dure six ans, et prévoit de récolter des données et de calculer le manque à gagner potentiel de ces exploitations. Beaucoup d’agriculteurs et agricultrices, persuadés que ces parcelles sont un inconvénient économique, rejoignent le programme en espérant pouvoir toucher une aide.
Mais en 2019, le constat les déçoit. « Un différentiel de revenus était observé mais aucune corrélation avec les zones humides n’était prouvée », se souvient Anne-Laure Demarthe, responsable du programme au sein de la chambre d’agriculture du Nord-Pas-de-Calais. Les éleveurs et éleveuses ne touchent donc pas d’aide mais « un changement de regard s’opère », raconte-t-elle.
Depuis, le PMAZH s’est transformé. Il conseille désormais la profession pour intégrer les zones humides dans les exploitations sans toucher à leur rentabilité. Les pratiques évoluent : plantation de haies, optimisation des rotations avec les prairies sèches, réduction du risque de parasites…
« Certaines fermes en zones humides s’en sortent même mieux que les autres », s’enthousiasme Anne-Laure Demarthe. « Ce programme permet de faire concorder l’intérêt écologique et l’intérêt agricole », se réjouit Marie-Aude Guignon, conseillère PMAZH au syndicat mixte de la baie de Somme. « Ces intérêts, trop souvent opposés, sont en réalité complémentaires », affirme-t-elle.
Jean-Louis Bouthors, bénéficiaire du programme, confirme : « En période de sécheresse par exemple, l’herbe est toujours verte chez nous. Les zones humides peuvent devenir un avantage. »

Prochain objectif du programme : convertir encore plus d’exploitations pour protéger ces espaces.