Pour les autorités publiques, l’accès à l’eau est perçu comme un “confort de vie”, alors que c’est un besoin vital 

En France, la reconnaissance du droit à l’eau des personnes exilées n’est que très récente. Une situation qui provoque des conditions humaines déplorables dans les camps du littoral. Entretien avec Elise Duloutre, référente juridique et plaidoyer chez Solidarités International.

Portrait de Elise Duloutre ©Lison Chambe

Pour les autorités publiques, l’accès à l’eau est perçu comme un “confort de vie”, alors que c’est un besoin vital 

Que dit la loi concernant l’accès à l’eau des personnes exilées en France ?

Jusqu’à 2022, le droit d’accès à l’eau des personnes exilées n’était pas écrit noir sur blanc dans la loi. Il découlait implicitement d’autres droits, comme celui à la dignité humaine, à vivre dans un environnement sain ou à avoir une vie privée et familiale.

Depuis, la France a retranscrit une directive européenne, datant de 2020, relative à l’accès et la qualité des eaux destinées à la consommation humaine. Elle affirme le droit à toute personne de bénéficier d’un «accès au moins quotidien à son domicile, dans son lieu de vie ou, à défaut, à proximité de ces derniers, à une quantité d’eau destinée à la consommation humaine suffisante pour répondre à ses besoins ».

Ce texte prend en compte «les personnes en situation de vulnérabilité liée à des facteurs sociaux, économiques ou environnementaux ». Cela étend le champ d’application de la loi aux sans-abri ou aux personnes habitant des lieux de vie précaires tels que les camps de migrants.

À qui revient la responsabilité de garantir un accès à l’eau sur les camps de personnes migrantes ?

Les différentes autorités locales se renvoient la balle car il existait encore récemment un flou juridique. La nouvelle loi donne plus de compétences aux communes et leurs intercommunalités en matière d’accès à l’eau. Ce texte étant encore trop récent, il n’existe, à ce jour, qu’une seule condamnation basée sur son fondement. Le cas de la commune de Ouistreham, contrainte en 2023 à installer des points d’eau, pourra faire jurisprudence. Pour cela, il faudrait multiplier les recours en justice de la part des associations et des personnes exilées. Mais les conditions socio-économiques des premiers concernés ne leur sont pas favorables pour se lancer dans de telles procédures judiciaires.

Existe-il des moyens de sanctionner l’État français en cas de manquement à ses obligations ?

Il se peut qu’une autorité supérieure comme la Cour européenne des droits de l’Homme interpelle l’État français sur ses violations. Elle se positionne régulièrement sur des questions de droit à la dignité humaine et a déjà condamné la France pour mauvais traitement des demandeurs d’asile. Pour pouvoir la saisir, il faudrait avoir épuisé tous les recours préalables en interne. Seules les victimes directes peuvent se porter requérantes. Or, les délais s’étendent souvent de cinq à sept ans, ce qui est très long car les victimes et responsables associatifs changent.

Comment expliquez-vous que les autorités puissent interpréter différemment ces lois ?

Dans les décisions de justice, l’obligation de raccorder les terrains à des points d’eau fixes n’est jamais écrite. Légalement, aucun critère ne définit la distance minimale entre un point d’eau et un lieu de vie. De plus, il est difficile d’estimer le nombre de personnes présentes sur un camp et donc d’apporter une réponse proportionnelle. Cela laisse le choix aux autorités d’installer ou non des points d’eau fixes. À Calais par exemple, la préfecture a fait le choix d’organiser des distributions ponctuelles.

Cette politique serait justifiée par le coût et la difficulté de la mise en place. Mais selon les travailleurs humanitaires, cela est réalisable et évite les dépenses indirectes comme les frais d’assainissement.

Dans le cadre de la politique « zéro point de fixation », aucun service de base pérenne et stable n’est fourni aux personnes exilées. Le droit de propriété est très fort en France, il est souvent utilisé comme motif d’expulsion des camps. Les autorités craignent que l’accès à l’eau encourage les populations à rester sur place. Dans leurs esprits, l’accès à l’eau est perçu comme un « confort de vie », alors qu’il est un besoin vital.

Que dit la loi ?

« LA QUANTITÉ SUFFISANTE D’EAU destinée à la consommation humaine (…) est comprise, selon la situation des personnes, entre cinquante et cent litres d’eau par personne et par jour disponible au domicile ou dans le lieu de vie des personnes ou, à défaut, en un point d’accès le plus proche possible, compte tenu des contraintes techniques, géographiques et topographiques et des servitudes auxquelles sont assujettis les territoires concernés ».

Conformément à l’article 3 du décret n° 2022-1721 du 29 décembre 2022, ces dispositions entrent en vigueur dans le Code de la santé publique au 1er janvier 2023.

© Lison Chambe
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