Nouvelle réglementation pour l’irrigation : la goutte de trop ?

Le changement climatique fait de la gestion de l’eau un défi quotidien dans le milieu agricole. Pour y faire face, le Nord et le Pas-de-Calais évoquent une évolution, dès 2026, de leur réglementation sur l’irrigation en cas de manque d’eau. La profession agricole, elle, reste dubitative.

« L’eau ? » Les yeux de Denis* s’écarquillent. « Ah oui, c’est un problème ! » Maraîcher dans le Pas-de-Calais depuis 1988, il a vu le dérèglement climatique transformer son quotidien. Tout autant que les réglementations. À partir de 2026, les agriculteurs et agricultrices du Nord et du Pas-de-Calais seront soumis à une gestion volumétrique de l’eau en cas d’arrêté de sécheresse. Une ferme recevra un quota d’eau à ne pas dépasser, calculé selon la taille de son exploitation et le type de culture.

Jusqu’à présent, dans cette situation, une gestion horaire était en place. La quantité d’eau n’était alors pas limitée, mais il était impossible d’arroser les cultures la journée et les week-ends, en fonction des seuils d’alerte. « Cette nouvelle mesure est en discussion, depuis trois ans, entre la Chambre d’agriculture du Nord-Pas-de-Calais et les services de l’Etat », détaille Gabriel Delory, président de l’association des Irrigants du Nord. « C’est un bouleversement : chaque agriculteur aura son compteur et fera des relevés de sa consommation d’eau tous les 15 jours. »

La problématique de l’eau n’est pas qu’une question agricole, c’est un enjeu collectif.

La transition se réalisera pas à pas. Des sessions de formations sont dorénavant proposées pour se familiariser avec Irrig’eau, la plateforme en ligne sur laquelle déclarer ses compteurs. Celle-ci a déjà été mise en place dans les Pays de la Loire, mais a été adaptée au Nord et au Pas-de-Calais. « Le nouvel arrêté fondé sur la gestion volumétrique sera soumis à consultation et à signature avant le mois de mars. Les deux systèmes vont cohabiter jusqu’en 2026 », explique Olivier Maury, chef du service Environnement de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) du Pas-de-Calais, service dédié  à la mise en œuvre des politiques agricoles du département.

Une confiance érodée entre institutions et monde agricole

Fabien*, maraîcher dans le Pas-de-Calais depuis plus de vingt ans, reconnaît que la nouvelle gestion volumétrique part d’une bonne intention : « Elle permet de remettre un peu tout le monde sur un pied d’égalité. » Mais il regrette « qu’il n’y ait pas de cadrage un peu plus sévère sur les horaires. » Cela éviterait certaines dérives, comme arroser une culture la journée en cas d’arrêté de sécheresse. 

Edouard, lui, est éleveur dans le Béthunois à la tête d’un cheptel de 300 bêtes. Il craint que cette mesure entraîne une charge administrative supplémentaire : « Je suis agriculteur, mais je passe deux jours et demi de ma semaine dans mon bureau. »

Consciente de cette réalité, la Direction départementale des territoires et de la mer souhaite laisser du temps aux agriculteurs et agricultrices pour appréhender cette nouvelle règle. En cas de non-respect des volumes attribués, les premiers contrôles donneront lieu à des procès-verbaux. « Il ne peut pas y avoir de réglementation sans contrôle. Mais les sanctions sont proportionnées », tempère Olivier Maury. 

« La problématique de l’eau n’est pas qu’une question agricole, c’est un enjeu collectif », souligne Olivier Maury. Pour lui, agriculteurs et agricultrices, particuliers, industriels et institutions doivent composer ensemble une partition dont personne ne connaît la note suivante. « Dans le Pas-de-Calais, on a vécu de fortes sécheresses de 2016 à 2022. Avant, c’était une fois tous les dix ans », conclut-il. La gestion volumétrique est une réponse à ce constat, avec l’utilisation d’Irrig’eau. Un outil qui doit encore évoluer dans les prochains mois suite aux premiers retours de la profession.

*Les prénoms ont été modifiés.

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