Le village de Terdeghem lutte contre la création, sur son territoire, de zones inondables – dites zones d’expansion des crues. Porté par un syndicat hydraulique influent, le projet vise à protéger la ville voisine de Steenvoorde des inondations.
À 50 kilomètres au nord de Lille, la Moe Becque – « ruisseau fatigué » en flamand – relie les 500 habitants et habitantes de Terdeghem aux 4 300 de Steenvoorde. Ici, l’Union syndicale de l’aménagement hydraulique du Nord (USAN), un syndicat intercommunal chargé entre autres de prévenir les inondations, projette de créer deux zones d’expansion des crues (ZEC), à environ 200 mètres des premières maisons terdeghemoises. « Au départ, une ZEC est une zone qui subit des crues naturellement, mais ces zones disparaissent du fait de l’artificialisation des sols », explique l’hydrologue Louise Deshayes. L’idée est donc de recréer de telles zones, en construisant deux digues sur la Moe Becque, pour protéger Steenvoorde, en aval, des inondations.
Seul problème : Terdeghem s’y oppose fermement, au point de porter l’affaire en justice. L’avocate Chloé Schmidt-Sarels, qui le représente, argue que ce projet est « potentiellement dangereux » pour la population. Les Terdeghemoises et Terdeghemois que nous avons rencontrés ont tous leur avis sur les ZEC. Pour l’un d’eux, faire des retenues d’eau si près du village reviendrait même à « sauver Léon pour noyer Jean ».
Faire barrage
À Steenvoorde, ce sont plutôt les victimes des inondations qui suivent l’affaire de près : « En 2023, j’ai eu 90 centimètres d’eau chez moi », se souvient Corinne, une Steenvoordoise se disant favorable aux digues.
En 2020, le conflit commence à s’intensifier. L’ancien maire de Terdeghem, Bernard Beun, signe une autorisation d’urbanisme « dans son coin », d’après Me Schmidt-Sarels. Il donne ainsi son accord pour de potentiels travaux, première étape de la concrétisation du projet. Puis, lors d’une enquête publique en janvier 2021, des Terdeghemois et Terdeghemoises expriment leur inquiétude. Rien à faire : le syndicat reçoit les autorisations nécessaires.
Sous l’impulsion de l’association «Terdeghem notre bien commun», en mai 2021, une cinquantaine de riverains et riveraines expriment leur colère devant la mairie. Une pétition contre le projet recueille 300 signatures. Le collectif fait du bruit : « On a été bons avec la presse, La Voix du Nord a pas mal parlé de nous », se félicite le cofondateur Nicolas Nuns. Au pic de la mobilisation, le « Non aux ZEC » figurait sur toutes les fenêtres du village ou presque.
L’autre voix forte de l’association, Ignace Gueguen, tient une chèvrerie bio. S’aventurant dans le brouillard et la gadoue, il montre avec de grands gestes l’impact des ZEC sur son terrain : « L’eau s’arrêtera avant le bâtiment, mais la terre sera imbibée et mes chèvres auront les pieds dans l’eau. » Il devra alors bétonner le sol, ce qui pourrait, selon lui, compromettre à terme son label bio. Après une visite de sa propriété, l’USAN aurait proposé à l’éleveur de lui céder ou mettre à disposition un demi-hectare de ses terres. L’exploitant refuse car « les chèvres ont besoin d’espace pour pâturer ». Le syndicat aurait alors suggéré de lui acheter deux ou trois hectares non loin, sans que cela n’aboutisse.
Objections et démissions
Début 2022, Terdeghem dépose deux recours pour faire annuler le projet de ZEC. « On a voulu montrer que le projet était obsolète, que les études étaient insuffisantes, et que l’USAN avait bénéficié d’une dérogation illégale quant aux espèces protégées », énumère Chloé Schmidt-Sarels. La bataille juridique s’enlise avec un autre recours du syndicat. Une première décision du tribunal administratif de Lille en décembre 2024 aurait donné raison au village, selon son avocate. Pour le reste, « le juge va devoir prendre beaucoup de temps pour analyser tous nos arguments », estime-t-elle. En attendant, l’USAN ne souhaite pas s’exprimer, malgré l’absence de secret d’instruction dans l’affaire, et les travaux restent en suspens.
La vie politique de Terdeghem a été éprouvée par le sujet des ZEC, avec plusieurs démissions. D’abord, Bernard Beun est poussé vers la sortie en mai 2021, accusé de ne pas avoir consulté ses collègues et administrés. Puis, Nicolas Nuns claque la porte du conseil municipal en septembre 2022. Il l’avait rejoint un an plus tôt, invité par la nouvelle maire, Virginie Delestré. « Virginie s’est appropriée le dossier et j’avais l’impression de ne pas avoir mon mot à dire », confesse-t-il. L’édile est critiquée par certains habitants, l’accusant de « dire non à tout ». Mais d’autres saluent sa combativité face au projet des ZEC.
Une efficacité contestée
Après les inondations de novembre 2023, la commune de Terdeghem a sollicité l’hydrologue lyonnais Max Ternon pour mener sa propre étude. Ce choix reflète l’influence de l’USAN dans la région : « Sur les Hauts-de-France, dès qu’on [en] parlait, aucun hydrologue ne voulait intervenir », nous souffle une source à la mairie.
Cartographie des Zones d’Expansion de Crues. Sources : USAN. Infographie : Jonathan Wijayaratne
La contre-expertise cite une alternative : une ZEC sur l’Ey Becque, une autre rivière qui traverse Steenvoorde, rejetée dans les années 2010. Estimant que le projet actuel ne serait pas assez efficace, Max Ternon invite à reconsidérer l’option Ey Becque – d’autant plus que celle-ci fut écartée pour des critères depuis obsolètes. L’an dernier, le député-maire de Steenvoorde Jean-Pierre Bataille affirmait à L’Indicateur des Flandres être « ouvert aux alternatives », mais ses remarques antérieures passent mal : « Il nous a traités de tous les noms ! » raconte un retraité de Terdeghem. Sollicitée, la mairie de Steenvoorde n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Du côté du village, l’avocate garde le moral : « Notre plus grande force, c’est de faire traîner le projet », confie Me Schmidt-Sarels. L’USAN a jusqu’à 2027 pour acquérir les parcelles nécessaires, à l’amiable ou non – si elle obtient gain de cause en justice. Chez les habitants et habitantes, face à un conflit qui dure, on est au pire pessimiste, au mieux las. « Quand on voit ces deux communes qui se battent, on comprend mieux pourquoi il y a des guerres dans le monde », soupire une Terdeghemoise.