Dans la rue Alfred-André, à Blendecques, les maisons inondées n’étaient plus habitables il y a un an. Aujourd’hui, des logements continuent de se fissurer et leurs propriétaires n’ont pas été indemnisés à la hauteur des attentes.
La quiétude qui règne dans la rue Alfred-André, à Blendecques dans le Pas-de-Calais, détonne avec les scènes de désarroi qu’elle a vécues il y a un an de ça. À la porte du n°62, la chatte de Patrick Picquendar dort paisiblement. À l’intérieur, pourtant, tout est sens dessus dessous. Des sacs de ciment, un groupe électrogène et un escabeau s’entassent dans le salon. Les meubles sont surélevés par des tréteaux, comme dans l’attente de nouvelles crues.
Entre 2023 et 2024, en moins de deux mois, l’eau a par deux fois dépassé le mètre chez le retraité. Un traumatisme qui le hante encore : « Je me réveille souvent en sursaut la nuit quand il pleut. » Propriétaire depuis 1997, il a tout perdu dans les inondations. « J’ai dû changer tous les meubles, rembobine Patrick. J’ai même perdu une de mes motos, emportée par le fleuve, au bout du jardin. » Commencent alors trois mois de vadrouille « entre les nuits à l’hôtel Mercure et un mobile home .»
Pour les rénovations, il a choisi l’autoréparation. « Je préfère faire les choses moi-même. Les entreprises qui sont passées chez les voisins sont toutes des branquignoles », jure-t-il. Un an après, il est encore dépassé par les travaux. Contrairement à ses voisines et voisins, son assurance, la Macif, l’a entièrement remboursé. Un de ses proches y travaille. Lui a-t-il facilité les choses ? « Pas du tout. Au bout d’un moment, il ne répondait même plus à mes appels ! »
Le calvaire d’une famille
Alicia Decroix n’a pas eu autant de chance. Sa maison, au bout de la rue, porte encore les stigmates de la montée des eaux. Dans l’entrée, la rénovation n’est pas terminée. Les murs laissent encore apparaître des traces d’enduit et l’escalier n’a pas été remplacé. La grande pièce à vivre, elle, est toute neuve. Son conjoint Alexandre, qui débarque dans la cuisine avec du placo, s’est occupé de tout remettre à neuf. Un travail minutieux qui a obligé ce responsable des machines d’une usine de verrerie à poser un mois de congés.
Le couple, parent de deux bambins de 6 et 2 ans, pense encore au cauchemar du 3 janvier 2024. « Quand l’eau est arrivée, par le jardin et la bouche d’égout devant la maison, on s’est réfugiés à l’étage, le temps que le niveau redescende. On y a passé toute la nuit », souffle la jeune maman. S’ensuivent des semaines où la famille trouve refuge chez la mère d’Alicia. « Ce n’était pas évident d’y retourner, surtout avec notre chien », souligne-t-elle, en pointant du doigt le golden retriever.
La famille à peine rentrée, les travaux sont lancés. Son assurance, la MAIF, « a indemnisé à hauteur de 27 000 euros », explique Alicia. Pour refaire l’entièreté de sa cuisine, le couple a reçu 500 euros. À peine ce qu’il a dépensé pour le rachat de l’électroménager. « Cette pièce nous a coûté 4 000 euros au total. Et encore, sans compter la main-d’œuvre. Vu que c’est moi qui ai fait les travaux », soupire Alexandre.

L’assureur refuse aussi de faire changer leur escalier. Alicia prouve, mètre à la main, qu’il s’est affaissé de trois centimètres. Et quand elle pointe son carrelage, elle écarquille les yeux : « Je n’ai pas le droit de le changer mais le voisin (Patrick, ndlr) a pu, lui ! »
Au cœur des désaccords
Pour Alicia et Alexandre, le compte n’y est pas, le chiffrage est sous-évalué. « La baie vitrée ne ferme plus, il faut la changer, mon conjoint n’a pas été indemnisé pour les travaux réalisés », énumère Alicia. La porte principale ne ferme plus totalement et n’isole plus la maison. Résultat : de la moisissure est apparue sur les murs de l’entrée. Pour tout changer, les jeunes parents estiment que la MAIF devrait encore verser près de 15 000 euros.
Si Alicia et Alexandre peinent à obtenir un dédommagement entier, à la différence de la majorité des autres propriétaires de la rue, c’est que la maison est au centre d’un imbroglio juridique. Quand le couple achète le bien, en 2018, il présente déjà une première fissure. La faute est imputée aux vagues de sécheresse qui touchent la région. L’habitation est d’abord assurée, au nom d’Alexandre, avec la Banque Populaire. Elle couvre de possibles dégâts liés à de nouveaux épisodes de siccité. Le couple souscrit ensuite à la MAIF, censée les indemniser pour tous les autres risques, dont les inondations.
Quand l’eau est arrivée, on s’est réfugiés à l’étage. On y a passé toute la nuit.
La situation empire. L’an dernier, de nouvelles fissures apparaissent sur la façade. Depuis, les deux assurances se renvoient la balle pour prendre en charge les dommages. La Banque Populaire a missionné un premier expert, le cabinet 3C, chargé de comprendre pourquoi la résidence se craquèle. Il constate que la maison est posée sur un vide d’au moins 40 centimètres. L’expertise assure que « les désordres de la maison sont imputables aux diverses inondations » subies. Ce serait donc à la deuxième assurance de financer des travaux pour éviter que la demeure ne continue de bouger.
Vendre et partir ?
La MAIF, elle, répond par une fin de non-recevoir. Elle missionne une deuxième expertise, qui assure que le sol est seulement détérioré par la sécheresse. Retour à l’envoyeur. Au milieu de ces arguties, la coupe est pleine. Le couple en est sûr : depuis les inondations, le phénomène s’accélère. Ils payent une contre-expertise – qui abonde dans leur sens – et en appellent au préfet du Pas-de-Calais. Une troisième expertise a lieu « au doigt mouillé » selon Alexandre. Pour lui, l’expert ne s’est « pas réellement intéressé » à leur cas. Pour l’heure, la MAIF campe sur ses positions. Contactée, elle n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Dans la rue, la famille d’Alicia est la seule à se heurter à des difficultés d’indemnisation. « En général, les assurés ne rencontrent aucun problème, commence le responsable d’une agence d’assurance concurrente. Mais quand une assurance trouve une faille dans un dossier, elle s’y engouffre. Cela peut être le cas quand deux d’entre elles couvrent une même habitation ». L’assureur leur conseille de ne pas hésiter à engager une procédure judiciaire. Le tribunal pourrait ouvrir une expertise et partager, selon ses conclusions, les indemnités entre les deux assurances. Dans leur contrat, la clientèle a le droit à une protection juridique pour couvrir les frais de justice.
La MAIF, elle, répond par une fin de non-recevoir. Elle missionne une deuxième expertise, qui assure que le sol est seulement détérioré par la sécheresse. Retour à l’envoyeur. Au milieu de ces arguties, la coupe est pleine. Le couple en est sûr : depuis les inondations, le phénomène s’accélère. Ils payent une contre-expertise – qui abonde dans leur sens – et en appellent au préfet du Pas-de-Calais. Une troisième expertise a lieu « au doigt mouillé » selon Alexandre. Pour lui, l’expert ne s’est « pas réellement intéressé » à leur cas. Pour l’heure, la MAIF campe sur ses positions. Contactée, elle n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Encore traumatisée par les crues, Alicia n’espère qu’une chose : que la bataille se termine et que la maison soit finie pour la vendre même si, désormais classée dans une zone inondable, elle a perdu plus de 40 % de sa valeur. De l’autre côté de la rue, Patrick veut partir d’ici, après vingt-huit ans. Et quand on leur demande où, les trois s’accordent : « Je ne sais pas, mais en hauteur ! »